TransCanada : éducation ou propagande?

Cet article a été écrit par Pierre Prud’homme. Ce dernier est membre du CPRF, un organisme membre du ROJeP. Pierre Prud’homme est un militant de longue date, impliqué dans plusieurs réseaux de solidarité internationale, de justice sociale, et de groupes faisant le lien entre justice, écologie et environnement.



belugaLe 7 novembre dernier, nous apprenions que la pétrolière TransCanada avait approché l’Institut des sciences de la mer de Rimouski dans le but de financer une chaire de recherche sur le Saint-Laurent axée sur l’étude du béluga. Ce financement s’étendrait sur une durée de 5 ans, soit le temps approximatif nécessaire pour compléter la construction du projet Énergie Est qui comprend les 700 kilomètres de pipeline en territoire québécois et le port pétrolier de Cacouna.
Le 18 novembre dernier, nous étions informés que cette initiative faisait partie intégrante d’un « plan stratégique » élaboré par la multinationale des relations publiques Elderman, à la demande de TransCanada, pour convaincre les Québécois d’appuyer son mégaprojet de transport du pétrole des sables bitumineux.
Prétendant, sans que l’on sache pour quelles raisons, que les Québécois « ne soient pas familiarisés avec le pétrole comme source d’énergie », le rapport en appelle à « l’éducation sur le sujet ». Ayant toujours été convaincu que l’éducation constituait le socle d’une pensée et d’une prise de parole citoyenne éclairée, et soupçonnant que la frontière entre l’éducation et la propagande pouvait être bien mince, j’ai recouru à mon Larousse pour en connaître les définitions.
Éducation : Ensemble des moyens utilisés pour former l’esprit de quelqu’un, développer ses aptitudes intellectuelles et physiques, son sens moral. Propagande : Action systématique exercée sur l’opinion pour faire accepter certaines idées… notamment dans le domaine politique ou social.
« L’éducation sur le sujet » qui nous concerne ici, soit le transport du pétrole des sables bitumineux, implique que l’on cherche à dévoiler et à comprendre l’ensemble des faits et des enjeux que celui-ci implique et que l’on fasse le débat dans un souci de vérité et de recherche du bien commun. On se trouve en présence d’une éthique des moyens utilisés. Alors que, pour la propagande, tout moyen qui favorise l’adhésion au projet peut être justifié.
Or lorsque le plan stratégique de Trans-Canada en appelle à recourir à d’importants investissements financiers dans la restauration des quais et des infrastructures riveraines du fleuve Saint-Laurent pour rallier l’adhésion, fait-elle vraiment de l’éducation sur son projet ou ne cherche-t-elle pas plutôt à acheter l’opinion publique?
Quand, au lieu d’identifier les choses par leur nom, Trans-Canada recommande de ne pas parler « des sables bitumineux », mais plutôt des « ressources naturelles », en quoi contribue-t-elle à « former les esprits » sur le sujet tel que le veut un travail d’éducation?
Lorsque Trans-Canada, qui a amplement les moyens d’entreprendre ses propres études sur les bélugas, cherche à instrumentaliser la crédibilité et l’image d’autres institutions, en l’occurrence ici l’Institut des sciences de la mer à Rimouski, rattaché à l’Université du Québec, pour compenser son propre déficit de crédibilité et d’image, fait-elle vraiment œuvre d’éducation?
Lorsque la stratégie de Trans-Canada veut se rallier des personnes influentes pour défendre son projet, allant même jusqu’à en identifier quelques-unes, compte-t-elle sur la valeur intrinsèque de son projet ou sur l’influence de ces personnes pour obtenir l’accord de la population québécoise? M. Denis Coderre, qui avait été pressenti parmi ces personnes influentes, a bien vu la manœuvre, lorsque, questionné à ce sujet, il a répondu sur les ondes : « Je ne suis pas achetable ».
Lorsque la stratégie de Trans-Canada se donne comme objectif d’ajouter des obstacles aux opposants par des informations remises à des tierces parties dans le but de « les distraire de leur mission », en quoi contribue-t-elle à favoriser un débat public sur son propre projet qui irait dans le sens du bien commun?
Enfin, selon le « plan stratégique », l’argument économique est à mettre en haut de la liste des arguments à mettre de l’avant. Mais de quelle économie parle-t-on quand le « plan stratégique »garde le silence total sur les rapports de multiples agences internationales, telles que l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le Groupe international d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), la Banque Mondiale (BM), l’Agence internationale de météorologie et des sciences de l’atmosphère, la NASA, et d’autres qui en appellent à l’urgence de nous libérer de notre dépendance aux énergies fossiles responsables du réchauffement climatique et qui rappellent les coûts vertigineux qu’entraînera notre retard à entreprendre un virage prononcé vers les énergies renouvelables?
Il est clair que « le plan stratégique » de Trans-Canada relève de la propagande et non d’un programme d’éducation. Le sens éthique et moral des moyens utilisés pour promouvoir un projet de société nous parle du sens éthique et moral même de ce projet.
Or quand la valeur de ce dernier ne peut se défendre par elle-même, et que, pour ce faire, on doive recourir à la déformation de langage, aux jeux d’influence, à l’achat de l’opinion publique par le paiement d’infrastructures, à l’instrumentalisation d’institutions, à la perturbation du travail d’organisations citoyennes, au silence sur des informations névralgiques, il y a de fortes chances que ce projet ne soit pas au service du bien commun.
Il ne nous reste qu’à espérer que nous ne succombions pas aux chants des sirènes des propagandistes d’une économie à court terme qui altérerait les promesses d’une économie florissante à plus long terme.